"Into the lens, une vie à travers ma fenêtre"

 

       Texte et photographie : Sylvain ARNOLD

J'AI COURU LES PRETOIRES DE PARIS


JUSTICE. Délinquants et avocats se croisent le temps d'une audience dans le plus grand tribunal de France où la victime est peu représentée.


Quai de l'Horloge à Paris, les touristes se présentent tranquillement devant la belle entrée de l'église de la Sainte Chapelle. Le soleil est enfin présent. Le mois de mai s'affirme timidement aux visiteurs venus du monde entier.
A deux pas de là, c'est une toute autre ambiance. L'entrée du Tribunal de grande instance de Paris se fait par une petite porte qui s'ouvre sur un local de sécurité. Deux gendarmes encadrent l'entrée d'un couloir sombre. Sans bruit et laborieusement, chacun avance vers un portique de sécurité. De l'autre côté, pas de salle d’embarquement pour les îles ensoleillées. C'est l'entrée du « plateau pénal » me confit un personnel d’accueil du tribunal. Passé les différents couloirs, je pousse la première porte du sas de la 16 chambre correctionnelle, puis la seconde porte. En un rien de temps, me voilà plongé dans le silence si pesant de la prochaine audience.

« C'est toujours plus facile avec l'argent des autres »

Il est 10h00. A l'appel de son nom, Madame C* aide ménagère, brune et de petite taille, s'avance avec son avocat devant le Président. Il lui est reproché d'avoir détourné de son employeur âgé de 92 ans qui lui avait confié sa carte de crédit depuis 8 ans, de multiples retraits de 400 € durant les 18 derniers mois. Le préjudice est chiffré à la somme totale de 22.250,00 €. La victime n'est pas présente. Le Président du Tribunal correctionnel, le nez dans son dossier, décrit rapidement les faits et la relation constatée entre les jours de ménage et les retraits frauduleux. Puis est survolée la personnalité de la prévenue. Son casier judiciaire révèle toujours la déchéance parentale inscrite depuis 1976. Puis les questions diverses sont abordées dont celles en rapport avec l'argent :« Quels sont vos revenus actuels Madame ? » demande l'un des assesseurs d'une voix faible. Madame C, répond rapidement et son avocat de préciser « qu'elle a actuellement un prêt à la consommation ». Chacun se plonge à nouveau dans son dossier comme si cette information primordiale avait échappée à l'enquête de police. Silence. Au premier rang, le gendarme regarde discrètement le plafond.
La parole est donnée ensuite au procureur de la République. Il se lève et qualifie l'infraction d'abus de confiance aggravé sur une personne vulnérable. Selon lui, cette qualification issue du droit pénal général est incontestable :« les retraits frauduleux sont reconnus par le prévenu qui ne semble pas avoir pris conscience de ses agissements ». Enfin, il ne peut s’empêcher de conclure que « c'est toujours plus facile avec l'argent des autres » et de requérir 4 mois de prison avec sursis assorti d'une interdiction d'exercer les fonctions d'auxiliaire de vie. L'avocat de Madame C. s'impatiente. Il sent qu'il ne va pas tarder à entrer en scène.
Face au Président, la défense expose d'abord que cette situation est « finalement assez courante. Voilà une personne qui s'est trouvée dans le besoin mais qui est disposée à rembourser». Voulant ainsi banaliser l'affaire devant la juridiction, l'avocat de Madame C. tente de diminuer le quantum de la peine. En se plaçant sur le terrain de la requalification de la loi pénale spéciale, il plaide l'abus de faiblesse, moins sévèrement réprimé. Le Tribunal l'écoute, impassible, sans laisser paraître une quelconque émotion. Madame C. assise au premier rang semble avoir du mal à saisir ces subtilités. L'avocat demande le minimum de la peine car selon lui « le sursis n'est fait pas pour les grands délinquants ».
A cela, le Président et le Procureur n'ajoutent rien. En leur intime conviction l'affaire semble déjà ficelée. Elle est mise en délibéré à 7 jours. L'avocat rejoint sa cliente, des sourires sont échangés. A l'ouverture des portes un air frais vient alléger l’ambiance de cette affaire de droit commun.

« Vous n'avez que des témoins à charge. Mes clients sont prêts à témoigner »

Au tribunal correctionnel de Paris, les audiences s’enchaînent ainsi toute la journée. Madame C. est tout juste sortie de la salle, que le greffier appelle déjà le dossier suivant. Une affaire « entre parties » comme aime a le répéter plusieurs fois et avec le sourire l'avocat de Madame C. nommé également dans cette seconde affaire ! Sa stratégie de défense commence cette fois par la justification de l'absence de la victime et du prévenu. Les faits sont alors rapidement présentés : tentative d'escroquerie et fausses factures entre deux sociétés de location de voitures. Après un bref silence, le Président propose de reporter l’audience au mois de juin prochain. En effet, un assesseur soulève que la citation faite par Huissier de justice en courrier recommandé avec accusé de réception n'a pas été versée au dossier. D'un commun accord, l'imposant dossier derrière lequel cet assesseur se dissimulait est renvoyé sur une étagère arrière.
Sans attendre, la dernière affaire de la matinée est présenté par le Greffier. Elle oppose un collectif de mal logés à un organisme social de Paris. Pour avoir été violenté mais sans ITT lors d'une réunion avec les usagers, un cadre de cet organisme a porté plainte. L'ambiance est tendue et l'avocate de ce collectif n'hésite pas à interpeller directement le Président de la juridiction sur l'absence de preuve. « Vous n'avez que des témoins à charge Monsieur le Président. Une caméra de surveillance a tout filmé mais le contenu du film n'a pas été versé au dossier. Certains témoins ici sont prêts à témoigner le contraire » ajoute t-elle en pointant du doigt le public placé derrière elle. Dans l'assemblée un homme se lève, comme surpris par cette interpellation inattendue. Puis il se rassoit rapidement. Le Président devant cet incident de séance, décide d'obtenir un supplément d'information. Le sursis à statuer est prononcé et l'affaire est renvoyée au 2 octobre prochain.

L'ambiance s'apaise, la salle se vide. A l’extérieur, le débat continu dans la bonne ambiance. Le rideau vient de tomber sur une journée d’audience.


* Tous les noms des prévenus ont été volontairement changés.

Sylvain ARNOLD, juin 2013